Paléolitique en côte d'émeraude et pays de rance

Nous sommes en 1872, et Simon Sirodot, doyen de la faculté de sciences de Rennes, est appelé par des terrassiers qui croient avoir découvert des os de baleines. Il arrive, un peu comme faisait Lartet à Simorre, et tombe sur un véritable trésor : cinquante mammouths et leurs dents, quarante chevaux, douze rhinocéros, dix rennes, quatre loups, deux ours, un lion, un blaireau, une marmotte, des cerfs, des bovidés…et une grande quantité de silex taillés ; des pointes moustériennes ; des racloirs… : on appellera ça la ménagerie du Mont Dol !

De la période moustérienne au paléolithique moyen, subsistent deux sites remarquables en Bretagne dont celui du Mont-Dol où des racloirs ont été retrouvés sur un site daté à 70 000 ans av. J.-C.
Depuis la plus lointaine préhistoire, le paysage, mais aussi la faune et la flore, ont beaucoup évolué en Bretagne. Ainsi, il y a plusieurs dizaines de milliers d’années, dans un climat beaucoup plus froid, les premiers hommes chassaient le mammouth et le rhinocéros dans les environs du mont Dol, comme en témoigne un gisement fouillé au XIXe siècle, alors que l’archéologie préhistorique en était à ses balbutiements et les débats sur l’origine de l’homme très vifs.

Régulièrement, la terre est soumise à des périodes de glaciation. Le climat se refroidit, le niveau des océans baisse, le paysage évolue, la végétation et la faune s’adaptent. La dernière glaciation s’est achevée il y a une dizaine de milliers d’années. Auparavant, des glaciers s’étendaient jusqu’au sud du pays de Galles, le niveau de la mer était plus bas d’une centaine de mètres et la Manche n’était pas encore une mer mais un vaste estuaire où se jetaient de nombreux fleuves comme le Rhin, la Tamise ou la Seine. Les côtes de Bretagne avaient donc un aspect très différent. Ainsi, une vaste plaine reliait les îles anglo-normandes à la baie du mont Saint-Michel et la côte d’Emeraude.

Climat sibérien
La couverture végétale est alors pauvre : quelques arbres, des bouleaux notamment et des résineux, parsèment un paysage de Toundra comme on peut en rencontrer aujourd’hui en Sibérie ou dans le grand Nord canadien. Le mont Dol, un bloc granitique aux parois escarpées, émerge. Sa hauteur de 55 m en fait un observatoire idéal pour la chasse aux grands animaux qui vivent dans la plaine marécageuse en contrebas.

Rien d’étonnant, donc, que les hommes de Neandertal aient choisi ce lieu, vers 110 000 ans avant J.C., pour y établir un campement à l’abri des falaises au lieu-dit « Croisé Join ». Les hommes sont alors rares. Selon les chercheurs, ils vivent par bandes semi-nomades, se déplaçant au fur et à mesure des saisons et des opportunités de chasse. Du fait de la rareté des grottes dans la région, ils installent des cabanes et allument des brasiers au pied des falaises, comme au Mont Dol.

Pour chasser, préparer la nourriture, travailler les peaux, les Néandertaliens disposent d’un outillage lithique, des galets et des silex taillés, qu’ils se procurent notamment sur le littoral. « Les chasseurs du Paléolithique, souligne le préhistorien Jean-Laurent Monnier, avaient acquis une remarquable connaissance des roches, de leur localisation et de leur propriété de taille. » Au Mont Dol, les archéologues ont ainsi retrouvé une multitude de racloirs de silex, de type convexe, concave, convergent ou à bord étroit. Contrairement à la plupart des sites contemporains en Armorique, on ne trouve cependant pas de silex bifaces.

Mammouths, rhinocéros, ours et panthère…
Lors des fouilles du site, les chercheurs ont mis au jour de nombreux ossements appartenant à des animaux consommés par ces hommes de Neandertal. On ignore les techniques de chasses utilisées à l’époque. Sans doute, ce groupe humain relativement soudé, mettait au point des techniques de piégeages dans les marais environnants. Certains animaux ont pu être tués après s’être enlisés dans les marécages. D’autres bêtes ont pu avoir été poussées par les chasseurs à se jeter de la falaise, mais les difficultés à les faire gravir le mont semblent écarter cette hypothèse.

Nombre des ossements découverts avaient été brisés, sans doute pour en extraire la moelle. Plusieurs ont été réutilisés comme compresseurs. Leur analyse révèle l’existence d’une faune variée dans la région. Elle est principalement composée de grands herbivores. Ainsi, les restes d’une cinquantaine de mammouths ont été découverts. On dénombre aussi des ossements de plusieurs dizaines de chevaux, de rhinocéros à peau laineuse, de bisons, de rennes, de cerfs. Les grands carnivores ne sont pas absents également. Les Néandertaliens ont affronté des ours, des lions, des loups et même une panthère comme en témoignent les ossements découverts. Ils consommaient aussi des petits mammifères, indicateurs d’un climat froid et humide comme le campagnol nordique ou des hauteurs, le rat taupier ou le lemming gris des steppes.

Controverses sur l’origine de l’homme
Exceptionnel, le matériel découvert au Mont Dol est toujours étudié par les chercheurs. Il a pourtant été mis au jour il y a fort longtemps, en 1872 et 1873, ce qui en fait un des premiers gisements du Paléolithique fouillé de manière scientifique en Europe. Son intérêt scientifique est en grande partie du à la qualité de la fouille et de celui qui la dirigea, Simon Sirodot. Contrairement à nombre d’érudits qui s’intéressent alors aux sites préhistoriques, Sirodot est un vrai scientifique. Né en 1825, à Longeau en Haute-Marne, il a été professeur de lycée avant d’occuper, de 1860 à 1878, la chaire de Zoologie de la faculté des sciences de Rennes. Il occupera ensuite le poste de doyen de cette faculté, jusqu’à sa retraite en 1894. Naturaliste, il est notamment l’auteur d’un ouvrage de référence sur les algues batraschospermes en 1884.

Initié aux grands débats scientifiques de l’époque, au courant des premières recherches préhistoriques, Simon Sirodot apprit, en 1872, l’existence d’étranges ossements découverts dans une tranchée de carrière du mont Dol par son préparateur J. Gallée. Il lança une première campagne de fouille de juin à septembre, avant de les reprendre l’année suivante. Attitude peu commune pour l’époque – où on se contentait en général de prélever les plus beaux objets sans tenir compte du contexte -, Sirodot se livre à un décapage intensif, établit des profils stratigraphiques, lève des plans, des coupes, des profils de niveau et à la chaîne. Une méthode de recherche très moderne qui permet aux chercheurs d’aujourd’hui d’en exploiter encore les résultats.

Le 17 mai 1873, Simon Sirodot présente ses travaux devant la Société d’Emulation des Côtes-du-Nord, une intervention qui provoque une vive polémique. L’étude de la Préhistoire en est, en effet, à ses balbutiements. Les découvertes, effectuées depuis le début du XIXe siècle, ont permis de jeter les bases d’une nouvelle chronologie sur l’apparition de l’homme, bien antérieure à celle, défendue alors par une partie du clergé, établie d’après la Bible et qui faisait remonter la création du monde par intervention divine à quelques milliers d’années. Sirodot sera notamment attaqué par un ecclésiastique, l’abbé Hamard, qui publie deux pamphlets en 1877 et 1880, contestant la chronologie établie au Mont Dol. Une controverse sur l’« antiquité de l’homme » qui peut paraître dérisoire aujourd’hui, mais qui n’en était pas moins virulente à l’époque. Depuis, la science préhistorique n’a cessé de progresser, nous éclairant de plus en plus précisément sur nos lointaines origines. On sait ainsi, grâce aux fouilles récentes de Menez Dregan dans le cap Sizun, que l’homme était déjà présent en Bretagne il y a près de 465 000 ans.

Pour en savoir plus :
Jean-Laurent Monnier, Chasseurs de mammouths en Bretagne, Editions Ouest-France, Rennes, 1982.
Pierre-Roland Giot, Jean-Laurent Monnier, Jean L’Helgouach, Préhistoire de la Bretagne, Editions Ouest-France, Rennes, 1998.